Belfast – Irlande
BELFAST, L’EXPÉRIENCE POUR ACQUÉRIR LA SAGESSE
– INTERVIEW –
Il était une fois, une ville au destin chargé de causes et de conséquences interconnectées. Belfast. La capitale actuelle de l’Irlande du Nord est bien difficile à raconter tant sa destinée est complexe. Laissons-la donc parler : elle-même…
D’où tiens-tu ton nom ?
L’embouchure (bel en gaélique) de la rivière Fast, aussi simple que ça. Malgré mon rôle central dans le Nord, je n’ai pas hérité d’un nom teinté de royauté comme Londonderry ou de grandeur comme La Chaussée des Géants. C’est parce que je n’ai pas de murailles tout autour sûrement, pas de falaise non plus.
Ta plus belle anecdote historique ?
Le Parlement nord-irlandais ! Les Anglais l’ont construit en 1932 sur mes vertes plaines à l’extérieur de la ville. Pendant la Seconde Guerre mondiale, en 1941, pour éviter que ce monument étincelant aux reflets marbrés et gris clair de la pierre de Portland ne soit repéré trop facilement, mes habitants ont décidé de le camoufler… Ils ont donc recouvert les 365 pieds de long de la façade avec un mélange savant de bitume et de fumier pour ternir son éclat et le rendre moins facile à cibler pour l’aviation allemande. Expérience étrange mais concluante, car il n’a pas été bombardé ! Il a fallu 7 longues années pour effacer les traces de la couverture ! Quelles idées ils ont parfois ces humains !
Ta plus grande honte ?
L’hôtel Europa ! Un haut bâtiment que les humains ont réussi à bombarder 39 fois ! L’hôtel le plus bombardé au monde, sur mes terres ? Ça c’est une honte !
Ta plus grande fierté ?
Le Titanic ! Sans hésitation ! C’est au creux de mes entrailles qu’ils ont réussi la prouesse fantastique de faire naître une beauté majestueuse en 1911. J’ai aimé chacune de ces quatre cheminées, de ces 90 000 patates embarquées à bord, des 2220 passagers dont 700 en troisième classe et des 15 000 ouvriers. C’est entre les docks et le chantier naval, ces cales fermées et jaunies, au cœur des étincelles de métaux en fusion, dans la poussière de sueur des ouvriers que le Titanic est né.
C’est si triste qu’un tel destin a été promis à ce géant des mers ! Si les hommes n’avaient pas voulu repousser encore et toujours les limites, s’ils avaient su se contenter de ce qu’ils avaient, mon beau Titanic serait toujours là. J’ai de la chance, il me reste encore le Nomadic, la réplication au quart du Titanic exposée au pied du musée flambant neuf du même nom. Si le géant des mers a disparu, sa mémoire est sauve. En parlant de souvenirs, devoir de mémoire impose, le seul mémorial reprenant tous les noms des passagers qui ne virent jamais l’Amérique se trouve à gauche de la façade de mon Hôtel de ville et je puise dans mes forces pour faire fleurir les Myosotis, Forget me Not, qui encadrent le monument.
Ta couleur préférée ?
Ah ça, c’est une question piège ! J’aime 5 couleurs avec la même tendresse, la même dévotion et pourtant ces couleurs sont la raison de tous les affrontements qui ont creusé ma chair et marqué au fer des balles mon corps. J’aime donc le vert et l’orange du drapeau irlandais, le blanc de la paix au milieu, le bleu et le rouge de l’Union Jack. Si vous baissez la tête pour regarder le sol de mes quartiers engagés, vous y verrez les trottoirs peints aux couleurs de leurs drapeaux respectifs. Le ciel aussi se teinte tantôt de nuances d’orange et de vert sur Falls Road, tantôt de bleu et rouge sur Shankil Road.
Ce que tu possèdes de plus important ?
Mon université, Queen’s University. Construite en 1845 par la Reine Victoria, elle a été érigée pour permettre aux catholiques et aux protestants d’étudier ensemble et fait partie des 10 plus anciennes universités du Royaume Uni. C’est un beau symbole de la réussite de la cohabitation, de la collaboration même, du vivre ensemble !
J’aime beaucoup son architecture et sa brique rouge qui va si bien au teint gris perle du ciel. Les jardins agréables accueillent les amours et les envies d’apprendre de plus de 24 000 étudiants. En me concentrant sur la vision optimiste de cette institution pour le devoir de réconciliation, j’arrive presque à oublier les moments de terreur passés.
Pour quoi pries-tu ?
La réconciliation, justement, et le retour de la croissance économique, à un niveau plus matériel. Je prie surtout pour la paix dans mon être. Un vivre ensemble sans discrimination, où la violence des attentats, l’horreur des pertes et la peur permanente des deux côtés du Mur de la Paix donnera finalement naissance à l’envie de former une solidarité inter communautaire.
Je ne suis pas maître de mon destin, la direction prise dépend des hommes placés haut et loin de mon âme urbaine mais je prie pour que l’on respecte les leçons de l’histoire et que l’on trouve la force dans le désespoir partagé de construire de jolies choses sur mon terrain, d’ériger de belles morales pacifiques et porteuses de projets communs.
Qu’as-tu sacrifié pour arriver là, maintenant ?
Là, maintenant je ne sais pas trop où c’est… En ce moment je suis un peu perdue entre le Brexit, le référendum d’indépendance proposée à l’Écosse et refusé, l’apaisement du quotidien… La sortie de l’Angleterre de l’Europe peut tout changer pour moi… Je ne choisis pas, je m’adapte tant bien que mal aux décisions humaines. Aujourd’hui j’ai la paix. Et ça, ça n’a pas de prix.
Ce que j’ai dû sacrifier pour en arriver là, maintenir cette paix ? Tout.
Mon identité, elle s’est construite sur une opposition de religions et de nationalités, cette dualité de pensée prenant tour à tour possession de moi, me rendant schizophrène sur les bords.
J’ai sacrifié mon économie aussi, à travers les attentats, l’insécurité permanente, la compétition farouche entre les quartiers et les peuples, personne ne s’est vraiment concentré sur mon développement. De capitale rayonnante avec le plus grand chantier naval d’Europe je suis devenue une «post-industrielle» comme ils disent… De jolis mots pour décrire une vieille marquée par la vie qui souffle et s’épuise à maintenir un niveau décent, qui boite les membres blessés par les bombes et les balles, qui a souffert mentalement de ne plus contenir les forces ennemis qui se livraient bataille, me défigurant chaque jour un peu plus…
La beauté endormie se révèle, certains me comparent même à Berlin pour mon dynamisme et la vitalité de ma jeunesse.
Cette personne c’était moi jusque dans le début des années 2000, mais maintenant je vais mieux, je suis reconstruite et je resplendis à nouveau de mille feux, de centres commerciaux vitrés, de visages sculptés dans les frontons historiques, de bars et restaurants chaleureux et délicieux, de fresques de street art fabuleux s’affichant sur mes murs, de coin de fêtes jeunes et dynamiques…
Tout le monde peut changer, tout est possible même la paix après la guerre, même le bon vivre après les temps difficiles. Il ne tient plus qu’à vous de venir me visiter et vous faire une idée par vous-même…
Humains de Belfast, je vous aime
Encore ?
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